Bourse du Talent 2022

Cette année, la Bourse du Talent, organisée par Photographie.com et Picto Foundation, a récompensé six jeunes photographes en nommant quatre lauréat·es et deux mentions spéciales. Les séries primées sont présentées dans le cadre de la seconde édition de la grande exposition collective intitulée La Photographie à tout prix. Cette exposition est visible jusqu’au 12 mars 2023 à la BnF, site François Mitterrand, et rassemble également les lauréats du Prix Niépce 2022, pour lequel Picto Foundation est partenaire, le Prix Nadar et le Prix du tirage photographique collection Florence et Damien Bachelot.

Grâce à la générosité des photographes et du laboratoire Picto, un ensemble de leurs tirages rejoint les collections de la BnF. En quinze ans de partenariat, plusieurs centaines de photographies ont ainsi fait leur entrée dans le patrimoine national, attestant de la vivacité de la scène photographique contemporaine.

Adeline Care, Lauréate « mode et transversalité » 

Adeline Care, lauréate de La Bourse du Talent 2022 © Adeline Care

“Aithō, je brûle” est un conte photographique mettant en scène la disparition d’une figure humaine dans l’immensité de paysages volcaniques.
Ce conte transpose une expérience de déréalisation que la photographe a vécue à l’adolescence. Ce trouble dissociatif étant la sensation d’être détaché de son environnement et de son propre corps, Adeline Care a ainsi développé une esthétique de l’effacement et du flottement à travers des changements climatiques capturés en haute altitude.
La photographe commence ainsi cette narration photographique par l’errance d’une figure humaine à la surface d’une terre devenue volcanique. Tout le travail de cette première partie vise à retranscrire la perte de la matérialité que l’artiste a pu ressentir. Jouant des pertes d’échelle, des variations brumeuses et des aplats de textures offerts par l’Etna, elle traduit des paysages mentaux préfigurant tragiquement le retour inéluctable de la terre à ce qu’elle était des milliards d’années plus tôt : une sphère de roches et de gaz.
L’ensevelissement progressif du personnage au coeur des souterrains basaltiques marque la fin de ce flottement. Se pétrifiant dans le magma, la figure humaine donne ainsi corps à ce retour au minéral. Par cette métamorphose, elle transcende son angoisse de la disparition en explorant la possibilité d’un monde inorganique. À l’instar de cet alter ego, elle tente d’appréhender l’existence dans des perspectives non-vitales; photographiant la matière pour ce qu’elle est, dans une temporalité géologique, espaçant chaque image de milliers d’années.
Les paysages de grotte deviennent alors le lieu d’un voyage métaphysique entre les tréfonds de la terre et de l’âme. Le rouge envahit l’image. Le personnage ne brûle plus, il est devenu lui-même feu. Une force sans vie, comme celle de l’Etna, lieu des photographies de la série, dont l’étymologie latine “Aithō,” signifie “Je brûle”.

Née en 1993 dans un petit village dans le Sud-Ouest de la France, Adeline Care se tourne rapidement vers l’audiovisuel avant de décrocher son diplôme à l’École des Gobelins. Vouant un véritable culte à l’image sous toutes ses formes, elle se spécialise dans la photographie et commence à se faire connaître grâce à des visuels mystiques, voluptueux, presque vaporeux. Son inspiration puise ses racines dans ses souvenirs d’enfance : les vastes forêts mystérieuses de Dordogne et des vallons sinueux emplis de contes et de légendes. La photographe française aime concevoir des oeuvres à la frontière du réel et de la fiction. C’est en découvrant les paysages basaltiques de l’Etna, et l’impossibilité de toute forme de vie qui en émane, qu’elle imagine ce que pourrait être l’extinction de l’espèce humaine. Adeline Care parcourt le monde avec ses objectifs pour photographier des instants entre deux mondes, lorsque le réel s’efface peu à peu pour laisser le champ libre à un sentiment d’inconnu. En Chine, en France, en Italie, la photographe tisse des liens permanents avec sa propre enfance et ses expériences vécues pour plonger le spectateur dans un trouble esthétique irréel.

Paloma Laudet – Lauréate « paysage » 

Paloma Laudet, lauréate de La Bourse du Talent 2022 © Paloma Laudet

À Calais, près de 65 kilomètres de clôtures barbelés dentellent la ville. Depuis les Accords du Touquet signés en 2003, on assiste à une externalisation de la frontière britannique sur le sol français. L’Angleterre a versé plus de 170 millions d’euros à la France pour la sécurisation de sa frontière face à l’afflux de migrants dans le Pas-de Calais.
La ville, avec le soutien de l’État, a mis en place une politique de répression envers les centaines d’exilés toujours présents à Calais. En 2020, 3 000 mètres carrés d’espaces verts et de forêts ont été évacués, rasés puis clôturés pour éviter la formation de nouveaux camps. Mais surtout, près de 26 000 panneaux de clôtures, parfois électrifiés ont fleuri partout dans la ville. Ces dispositifs anti-migrants touchent aussi les Calaisiens qui sont privés de certains espaces et subissent eux aussi ces clôtures au quotidien.
Ces murs, clôtures, barbelés, caméras de vidéosurveillance et matériaux de détection infrarouge rendent les 30 kilomètres entre Calais et Douvres quasiment infranchissables en véhicules. De ce fait, les exilés prennent de plus en plus de risques pour traverser le détroit notamment en petits bateaux. Selon la préfecture maritime, en 2021, entre le 1er janvier et le 31 juillet, 12 000 personnes ont tenté de traverser la Manche en bateaux, contre environ 2 300 en 2019. En 20 ans, plus de 346 exilés sont morts en tentant de rejoindre l’Angleterre…

Née en 1999, Paloma Laudet étudie la réalisation au Maroc. En 2019, elle décide de se consacrer à la photographie documentaire et suit une formation à l’école des métiers de l’information (Émi-cfd) à Paris. Depuis, elle documente les conséquences des politiques migratoires européennes notamment à Calais où elle réalise No man’s land, un travail sur l’impact des dispositifs anti-migrants sur l’urbanisme de la ville. Pour elle, la photographie est un moyen de témoigner des questions sociales, environnementales et humaines que traverse notre société, pour ne jamais laisser s’installer l’indifférence. En 2020, elle est lauréate du prix « Coup de coeur du JDD » au Grand Prix Paris Match étudiant. Co-fondatrice du collectif Hors-Format, elle intègre le collectif Item à la suite du programme de mentorat.

Dana Cojbuc – Mention spéciale « paysage »

Dana Cojbuc, mention spéciale de La Bourse du Talent 2022 © Dana Cojbuc

« La nature mystérieuse et puissante agit comme un envoûtement. Avec ses paysages éclairés sous un ciel changeant, j’ai trois semaines pour la regarder et la penser. Elle m’attrape dans ses forêts qui s’ouvrent sur la mer immense, scintillant dans la lumière du soleil, vaste étendue de brouillard qui cache tous ses îlots fantomatiques. Vent de liberté, je suis entre le souffle de la forêt, dense et humide, et le chuchotement des vagues qui s’écrasent nonchalamment sur les plages de rochers. Je me tourne, dos à la mer, et mon regard retrouve la forêt tumultueuse. Espace de tension entre réel et imaginaire.
Je surprends d’abord le réel par la photo. Je le prolonge ensuite par le dessin, tout en lui restant fidèle, pour l’amener vers mon monde inventé. La photographie enregistre mon regard et le dessin offre une nouvelle expérience où se nouent et se raniment mes mémoires. Je photographie les éléments de cette nature puis en esquisse les contours infinis pour les réinventer a posteriori. Fragile tentative anthropocène de mêler mes forêts intérieures à celles qui m’entourent alors. Les traits de fusain tracés dans la continuité de la photo lui confèrent l’aspect d’un dessin amenant le spectateur en dehors du cadre photographique. À cette frontière, le regard rencontre des nouvelles forêts plus denses, plus chaotiques, plus noires. Elles sont impénétrables et sans repères, comme des îlots qui flottent au milieu de l’océan, s’ouvrent et rejoignent la lumière dans le blanc du papier. »

Série issue d’une résidence photographique en Norvège à l’invitation du Sunnhordland Museum.

Artiste née en 1979 en Roumanie, Dana Cojbuc vit et travaille à Paris. Diplômée des Beaux-arts de Bucarest et en communication à l’université d’Athènes, elle développe ses premières recherches en photographie. Nourrie des techniques et des matières, entre la peinture, le dessin et la vidéo, ses récentes expérimentations artistiques mêlent la photographie et le dessin. Un prolongement par le geste de la main pour dépasser le cadre de l’image, une fusion subtile entre les deux media, jusqu’à se perdre à leur frontière. Ses oeuvres opèrent un glissement du réel vers d’autres mondes inventés, celui du récit onirique avec la série Conte d’hiver (2018- 2019), ou d’une mythologie de la nature avec Yggdrasil (2020-21). Une européenne qui enchaîne les bourses d’études et résidences de création en Grèce, Allemagne, Roumanie, Slovaquie, Finlande, Norvège et en France, touche au journalisme, coordonne des projets artistiques européens, tout en construisant son oeuvre photographique.

Lucie Hodiesne Darras – Lauréate « portrait »

Lucie Hodiesne Darras, lauréate de La Bourse du Talent 2022 © Lucie Hodiesne Darras

« Lilou, c’est le surnom que l’on a donné à mon grand frère Antoine. Quand on étaient petits, nos parents l’appelaient «petit loup» et comme je n’arrivais pas à le dire du haut de mes trois ans, je disais «Lilou». Finalement c’est Lilou qui est resté. Ce surnom, c’est aussi le nom du personnage de Milla Jovovich dans le Cinquième Élément de Luc Besson. Personnage venant d’un autre univers, et qui n’a pas la même perception du monde que les autres. Mon frère lui ressemble beaucoup. Il a une perception différente de notre monde.
Antoine est né le 15 Septembre 1988, à Paris. Il a prononcé quelques mots jusqu’à ses quatre ans avant de s’enfermer complètement dans le monde du silence. Je suis arrivée sept ans après.Je l’ai toujours connu comme ça, avec sa singularité. Antoine est un adulte autiste non verbal. Il ne parle pas avec des mots. Il n’écrit pas. Il ne dessine pas. Il donne plutôt des objets pour nous montrer ce qu’il veut. L’assiette pour la nourriture. Les chaussures pour l’envie de se promener. Parfois, il nous tire aussi par le bras pour nous emmener à un endroit précis. Donc on se comprend comme ça. Et jusqu’ici ça peut fonctionner.
Son autisme a été diagnostiqué à l’âge de 3 ans. Il a aujourd’hui 34 ans.
Mon frère a toujours eu besoin de se sentir rassuré. Son bien-être passe par des rituels dans le temps et dans l’espace : des horaires fixes pour se lever, pour se promener ou pour se coucher. Il trouve un véritable apaisement lorsqu’il est au contact de l’eau et son bonheur est palpable lorsqu’il se promène dans la nature.
Vivre avec l’autisme d’Antoine représentait un vrai combat. Pour ma famille comme pour moi, et surtout pour mon frère. Il était compliqué de gérer le regard des autres, souvent déplacé à cause du manque d’information sur l’autisme. Il y a eu des moments très difficiles bien sûr mais ce que nous apprenait mon frère était beaucoup plus important.. L’épicurisme, l’altruisme, ou encore l’humanisme.
Ma relation avec mon frère est très forte, très fusionnelle, qui va bien au delà des mots et on a rapidement construit aussi nos échanges par le biais du 8ème art. Le fait d’avoir grandi avec lui, m’a sans doute incité à développer une sensibilité, une fibre artistique, pour me construire aussi, comme un être à part entière.
J’ai beaucoup de mal à l’idée qu’on réduise mon frère à son handicap. Il ne communique pas avec notre langage mais il a le sien, il a sa réalité, son univers qui donnent à réfléchir. Et ce n’est pas parce qu’il a une vision différente du monde dans lequel nous vivons que cette vision est irréelle.
Avec la série documentaire Lilou, je veux offrir un nouveau regard sur l’autisme et casser les codes, car il y a trop d’idées préconçues sur ce sujet qui peuvent être complètement fausses sur la représentation que l’on a des personnes autistes. Je veux montrer le quotidien de mon grand frère, vivant tous les jours avec son autisme, et non montrer une personne que l’on va considérer comme malade ou déshumanisée. Je veux montrer Antoine, tel qu’il est vraiment, avec ce qu’il dégage, son aura, son essence et sa personnalité, au delà de son autisme, en lui donnant ma voix de photographe.

Je suis photographe auteure. J’ai toujours grandi dans l’univers photographique : mon père collectionnait des boîtiers argentiques et mon grand-père, admirait Robert Doisneau et Brassaï. J’ai réalisé un Bachelor photographe et vidéaste au Gobelins, l’école de l’image après avoir obtenu une licence d’anglais et d’espagnol à l’université de Caen. Mon approche photographique est en tout premier lieu humaniste. Je veux mettre en lumière ce qu’il y a de plus beau chez une personne, un lieu ou un objet et immortaliser son essence. « Photographier, c’est mettre sur la même ligne de mire la tête, l’oeil et le coeur. » Ces mots d’Henri Cartier-Bresson illustrent parfaitement ma conception du 8e art. Au-delà d’un langage, la photographie est une vocation. »

Vivien Ayroles – Lauréat « reportage et documentaire »

Vivien Ayroles, lauréat de la Bourse du Talent 2022 © Vivien Ayroles

« Aux confins des Pyrénées et de la Méditerranée, le paysage est traversé par les sentiers et les routes, parsemé de villages et hameaux à chaque bout de rivières à sec une partie de l’année. En cheminant dans le massif des Albères, butant contre ici un mur aveugle, là une roche coupante, le trajet prend des itinéraires imprévus et se résigne à des détours. Revenant sur ces pas, contournant, formant des impasses là où devrait avoir lieu l’échange. Le massif de schiste prend les airs d’une île dorée où les roches sombres sont sculptées par les éléments et l’histoire des hommes.
Ce projet prend place dans mon corpus de travail plus large sur le paysage méditerranéen et les façons de l’habiter, le modifier, de l’adapter ou de s’adapter à celui-ci. Par la marche, j’invente (à la manière des découvreurs de plantes) des territoires entre le réel et le personnel, sans exhaustivité de représentation ou objectivité de point de vue.
Le travail présenté a été réalisé pendant la résidence Fotolimo mené en partenariat avec le mémorial du camp de Rivesaltes en 2019-2020.

Né en 1986. Vit et travaille à Marseille. Diplômé en 2017 de l’École nationale supérieure de la photographie et en 2010 de l’IEP d’Aix-en-Provence. Mon travail photographique s’intéresse à l’action de l’homme sur le paysage et à la redéfinition des usages et de la notion de territoires notamment dans l’espace méditerranéen. Au travers notamment de mes résidences, je réalise un panorama subjectif et non exhaustif du paysage méditerranéen : du Mont-Aigoual à la vallée de la Méouge, de la Ligurie à l’Andalousie. Cette exploration du territoire me vient de mes origines entre le Liban, la France et l’Italie et mon enfance sur les sentiers de Provence. J’ai notamment exposé aux Rencontres d’Arles en 2018 avec Valérie Jouve, et je suis lauréat du Prix Polyptyque du Centre Photo Marseille en 2020. »

Victorine Alisse – Mention spéciale « reportage et documentaire »

Victorine Alisse, mention spéciale de La Bourse du Talent 2022 © Victorine Alisse

« Au Moyen-Orient, la terre – qui la possède, qui la cultive, qui la contrôle, qui la conquiert – est au coeur du conflit. Dans le village de Wadi Foukin, entouré par la ligne verte et la colonie israélienne de Betar Illit, la deuxième plus grande colonie juive de Cisjordanie, les agriculteurs palestiniens tentent de sauver leurs derniers dounams (unité de mesure de la superficie) de terre que l’État israélien s’approprie progressivement. L’occupation israélienne entrave la production alimentaire en limitant l’accès aux ressources telles que les terres agricoles et l’eau. Les agriculteurs palestiniens sont contraints d’abandonner leurs terres pour travailler dans des fermes israéliennes où les salaires sont bien plus élevés. L’agriculture est un véritable acte de résistance pour ces agriculteurs. Cet acte n’est pas sans rappeler celui des pionniers israéliens venus «faire fleurir le désert» et à qui on a interdit de travailler la terre en Europe pendant des années. En Israël, le lien avec la terre se perd, de moins en moins de jeunes veulent devenir agriculteurs. L’État hébreu manque actuellement de nouveaux agriculteurs et doit compter sur une main-d’oeuvre étrangère composée de Thaïlandais, de Jordaniens et de Palestiniens.
Je souhaite montrer la diversité de cette population agricole en interrogeant son attachement à la terre, imprégné de dimensions religieuses, politiques et identitaires. Ce travail explorera à la fois la perte du lien à la terre en Israël et la résistance des agriculteurs palestiniens pour la sauver. Ce travail comportera à la fois des moments de vie dans ces familles d’agriculteurs, des scènes de travail et des portraits de ces agriculteurs et agricultrices avec leur témoignage écrit dans leur langue maternelle. En effet, j’ai décidé d’offrir la possibilité à la personne photographiée d’écrire sur l’image. C’est une manière de lui donner d’une certaine façon la parole et de l’impliquer dans la démarche photographique. Ce reportage permet d’aborder le conflit israélo-palestinien sous un autre prisme.
Car sans la terre, il n’est pas de futur possible. »

Après une formation en relations internationales et action humanitaire, Victorine se consacre à la photographie. C’est un moyen pour elle de mettre en lumière la réalité des personnes en marge de la société mais également d’entrer en intimité avec les personnes qu’elle rencontre. Elle développe une approche documentaire de la photographie et traite de sujets sociétaux et environnementaux, notamment avec son travail On avait tous un paysan dans la famille qui questionne les visages de l’agriculture d’aujourd’hui. Victorine s’intéresse également aux nouvelles formes narratives en combinant textes et images avec la série Au grand air réalisée avec JS Saia qui vit au bois de Vincennes. Membre du collectif Hors Format.

INFORMATIONS PRATIQUES
Exposition des lauréats de la Bourse du Talent 2022
Dans le cadre de l’exposition La Photographie à tout prix
Date : Du 13 décembre 2022 au  12 mars 2023
Lieu : BnF – Bibliothèque nationale de France
Quai François Mauriac
75013 Paris
https://www.bnf.fr/

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