Entretien avec Sasha Mongin, lauréate de la Bourse du Talent 2025

© Sasha Mongin, Lauréate Bourse du Talent 2025

Centrée sur les nouvelles écritures documentaires la Bourse du Talent sélectionne les jeunes talents qui continuent à raconter notre monde à partir de nouvelles formes et modalités de médiation. En écho à ces expressions documentaires en perpétuel mouvement, le jury de la Bourse du Talent s’est réuni à Arles pendant la semaine d’ouverture des Rencontres de la Photographie pour désigner ses trois nouveaux lauréats : Sasha Mongin, Santanu Dey et Aria Shahrokhshahi.

 

En 2025, MPB, le premier revendeur d’appareils photo en Europe, devient partenaire principal de la Bourse du Talent, un programme historique de soutien aux talents émergents soutenu par PICTO depuis 25 ans.

Retour sur le parcours de vie et artistique de Sasha

Félicitations pour ce prix. Que représente pour vous cette reconnaissance ?
Quand j’ai commencé ma carrière de photographe, j’ai d’abord appris à réaliser du joli, du eye candy. Avec le temps, j’ai commencé à raconter des histoires à travers mes séries. Le mourant est une histoire intime et difficile. Recevoir ce prix est une confirmation précieuse : ce chemin est le bon pour moi.

Comment avez-vous accueilli l’annonce de votre sélection parmi les lauréats ?
Avec beaucoup d’émotion. C’est une joie immense et ambivalente : la difficulté de me replonger dans mes souvenirs et, en même temps, la satisfaction d’avoir réussi à transformer cette douleur en matière artistique.

En quoi cette reconnaissance peut-elle changer la suite de votre parcours professionnel ?
Elle m’encourage à aller plus loin dans l’écoute de mon instinct, à continuer mon exploration de la frontière entre intime et universel. C’est un vrai booster personnel.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours : comment êtes-vous venue à la photographie et à la photographie documentaire ?
J’ai été initiée à la photographie à l’adolescence, mais je situe le début de ma maturation photographique pendant le confinement, où j’ai mis en image une réflexion sur les objets du quotidien devenus inutiles. Cette série a été publiée dans Fisheye, et ce fut un déclic.

Présentation du projet Le mourant qui ne mourait pas

Pouvez-vous nous présenter la série/projet qui vous a valu cette distinction ?
Ce projet part d’une histoire intime : mon père a été contaminé par le VIH lors d’une transfusion sanguine en 1982. Toute mon enfance a été marquée par l’idée de sa mort imminente. Il est pourtant toujours vivant aujourd’hui. À travers ce travail, je cherche à mettre en images ce paradoxe : la présence de la mort comme horizon quotidien dans la vie d’une enfant qui grandit.

Quelle était votre intention de départ, et comment l’avez-vous traduite visuellement ?
Je voulais dépasser le récit purement documentaire. Mon intention première était de renouer avec l’enfant que j’étais et de lui donner la parole. Ce projet parle moins de l’histoire de mon père que du regard d’une enfant confrontée à son propre drame. Je cherche à traduire cette vision en mêlant archives familiales, images mises en scène et détails rappelant des rêves ou des mots d’enfant, comme un langage visuel hybride qui rend tangible une mémoire intime.

Quelles ont été vos principales inspirations ou influences artistiques pour ce projet ?
Je me nourris autant des arts visuels que du cinéma et de la musique. La première influence qui s’impose est sans doute Nan Goldin, pour son rapport au sida et sa capacité à tisser le personnel et le politique. Je pense aussi à Freddie Mercury, qui a continué à créer et à chanter alors qu’il se savait condamné. Des titres comme “Who Wants to Live Forever” ou “The Show Must Go On” résonnent pour moi comme des hymnes à la fois tragiques et héroïques, portés par une voix qui affrontait la mort. Mais mes sources les plus essentielles viennent de l’intérieur : ce sont mes souvenirs, mes sensations d’enfant, qui sont devenus ma première matière.

© Sasha Mongin, Lauréate Bourse du Talent 2025

MPB s’interroge :

Quel est votre rapport au matériel photo ?
Je cherche des outils qui disparaissent dans le geste. La technique doit être solide, mais discrète, au service du regard, pas l’inverse. Je veux pouvoir me concentrer sur ce que je ressens, sans que l’appareil m’impose sa présence.

Avec quel matériel avez-vous réalisé ce projet ?
Principalement avec mon Canon 5D Mark III et un scanner Epson, pour travailler sur les archives et créer des allers-retours entre passé et présent.

Êtes-vous plutôt attachée à un type d’appareil ou d’optique, ou aimez-vous varier selon le projet ? Envisagez-vous de changer d’équipement prochainement ?
J’ai une grande fidélité à mon 50 mm, c’est mon compagnon de route. Pour les appareils, je n’ai pas d’attache particulière : tant que j’ai un viseur et une focale fixe, je suis heureuse. En revanche, je pense à élargir mes outils vers la vidéo. J’ai déjà réalisé trois clips en deux ans, mais toujours avec des équipes techniques très solides. Aujourd’hui, j’ai envie de mettre les mains dans le cambouis et d’expérimenter moi-même.

Lorsque les téléphones avec appareil photo ont fait leur apparition, beaucoup ont prédit la mort de la photographie. Au contraire, le secteur des équipements, et en particulier le marché de l’occasion, n’a fait que se renforcer. Selon vous, quelles forces façonneront le secteur de la photographie au cours des 15 prochaines années ?
15 ans c’est une éternité, alors qu’on n’est qu’au début de la révolution industrielle qu’est l’IA.
Je ne crois pas au grand remplacement de la photographie, mais le marché est entré dans une période de transformation difficile. C’est un nivellement par le haut, il est très rapide et tous les acteurs doivent s’y adapter. Si on voit les choses du bon côté, cela nous incitera à exprimer encore plus fort notre conscience et notre créativité.

Vision et perspectives

Quels sont vos projets à venir après cette bourse ?
Il y en a beaucoup. Je veux continuer à développer Le mourant, mais aussi explorer davantage la réalisation. J’aimerais également mener des projets qui me ramèneraient en Chine, où j’ai vécu et étudié la langue et la civilisation pendant près d’une décennie : il est temps pour moi de construire un pont avec cette partie de mon histoire. Cette bourse me donne l’élan nécessaire pour élargir mes horizons et affirmer ma voix artistique.

Si vous deviez donner un conseil à un jeune artiste qui hésite à se lancer, quel serait-il ?
Ne pas attendre d’être “prêt”. On ne l’est jamais vraiment. Il faut oser montrer son travail, même imparfait, et accepter de se construire en chemin. L’audace et la sincérité comptent plus que la perfection.

 

Un programme

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