Les lauréats de la Bourse du Talent 2023

En 2023, le programme de la Bourse du Talent, qui détecte et accompagne depuis 25 ans les photographes émergents, inaugure une nouvelle formule.

Centrée sur les nouvelles écritures documentaires la Bourse du Talent sélectionne les jeunes talents qui continuent à raconter notre monde à partir de nouvelles formes et modalités de médiation.

En écho à ces expressions documentaires en perpétuel mouvement, le jury de la Bourse du Talent s’est réuni à Arles pendant la semaine d’ouverture des Rencontres de la Photographie pour désigner ses trois nouveaux lauréats : Daesung Lee, Florian Ruiz et Kamila K Stanley.


Nous les retrouverons en décembre à l’occasion de l’exposition La Photographie à Tous Prix présentée à la BnF.
Télécharger le dossier de presse.

Daesung Lee
Love your neighbours (2019 – )

© Daesung Lee. Lauréat de la Bourse du Talent 2023

« En 1992, la Bosnie-Herzégovine a déclaré son indépendance de la Yougoslavie à la suite d’un référendum. S’en est suivie la guerre de Bosnie avec le siège de Sarajevo. Partout en Bosnie-Herzégovine, les habitants se sont regroupés selon leur appartenance ethnique et se sont battus les uns contre les autres. Les amis et voisins d’hier sont devenus les ennemis et les meurtriers d’aujourd’hui. Durant les trois années de la guerre de Bosnie, ils se sont pillés, torturés, violés et tués les uns les autres. Un exemple particulièrement glaçant a eu lieu à Srebrenica en 1995 ; l’armée serbe y a tué de façon systématique 8 500 Bosniaques (musulmans de Bosnie) en l’espace de trois jours. La guerre de Bosnie s’est terminée dans une violence extrême et a laissé de profondes cicatrices dans la société. Le plus traumatisant de tout, c’est que ces crimes de guerre ont été commis par des personnes qui se connaissaient.

Je considère la société bosnienne comme une société souffrant de stress post-traumatique. Vingt-sept ans après la fin de la guerre, le traumatisme continue de hanter la société, et s’est même transmis à la génération d’après-guerre. De ce fait, la société est toujours profondément divisée en trois groupes ethniques (Bosniaques, Serbes et Croates) dont les relations restent tendues. Beaucoup de jeunes ont quitté leur pays ou cherchent à le quitter faute d’espoir.

Cette série photographique mêle visualité imaginaire, photographie documentaire et photographies de famille pour illustrer les souvenirs de la guerre, les traumatismes et la frustration qu’elle engendre. La guerre de Bosnie est terminée depuis plus d’une génération, mais chacun continue de se débattre avec elle. Les cicatrices de la guerre sont profondes. »

© Lee Daesung. Lauréat de la Bourse du Talent 2023

Daesung Lee est né en 1975 en Corée du Sud et vit à Paris depuis 2010. Il s’éloigne progressivement de la photographie documentaire et adopte une approche basée sur des mises en scène pour rendre visible l’impact du changement climatique sur les sociétés.
Ses deux séries « On the shore of a vanishing island », « Archeologie du future » ont été primés (Prix Voies-off et Prix Lens Culture, Sony World photography awards et Prix Dahinden). Elles ont été exposées dans de nombreux festivals internationaux (dont Photoquai du Musée Quai Branly, La Gacilly en France) et publiées dans les médias du monde entier (dont Le Monde, The Guardian, The Washington Post, GEO).
En 2017, il aborde la question des déchets nucléaires au travers d’une fiction documentaire « La forêt Rouge » qui a été finaliste du Prix des Amis du Musée Albert Kahn et exposée dans des festivals à Bourg-en-Bresse 2019 et Brest 2020. En 2022, il est invité par Magnum Photos à participer au projet artistique Saint Laurent « SELF 07 » qui a été exposé à Séoul.

Florian Ruiz
Nuclear American Road

546 W Adams St Phoenix, Arizona © Florian Ruiz. Lauréat de la Bourse du Talent 2023

« Photographe poursuivant depuis plusieurs années un travail sur les territoires marqués par la présence radioactive, mon projet initial était de parcourir les lieux à l’origine du projet Manhattan et du développement de la puissance nucléaire aux USA. Projet empêché par le Covid, je décidai de raconter un voyage, tel un récit de fiction, en empruntant virtuellement ces routes à l’aide de google street view et de l’Intelligence Artificielle.

Partant du site Trinity à Alamogordo, lieu du premier essai nucléaire, en passant par los Alamos, lieu des recherches scientifiques sur le développement des premières armes nucléaires, les mines d’uranium des territoires Navajo, mon objectif final de voyage est de rejoindre le Nevada test Site.

Je photographie, sur l’écran de mon ordinateur, des paysages de l’ordinaire dans ce vaste territoire virtuel : des coins de rue, des parkings, des carrefours, des bords de route, des zones commerciales, des motels, des restaurants… À partir de portraits et d’intérieurs postés par des anonymes sur ces routes, j’ai utilisé l’Intelligence Artificielle afin de remodeler ces images.

Ces photographies déformées picturalement par les zones de floutage, fragmentées par le pixel ainsi que l’étrangeté d’images recomposées par des algorithmes, viennent renforcer la vision fantasmée de ce voyage fictif.

Inspiré par le mouvement des streets photographes des années 70 tel Stephen Shore, j’ai voulu proposer le récit subjectif d’un voyage virtuel, une expression photographique nouvelle en documentant le monde à partir du flux d’images trouvées sur le net et à l’aide des nouvelles technologies. »

© Florian Ruiz. Lauréat de la Bourse du Talent 2023

Né en 1972, Florian Ruiz est un photographe français qui vit et travaille depuis 15 ans à Tokyo.
Marqué par la catastrophe de Fukushima au Japon en 2011, son travail photographique porte sur les lieux imprégnés par la présence de la contamination radioactive.
Dans ses projets, il cherche à interroger la photographie en utilisant des procédés numériques de superposition de fragments d’images afin de rendre perceptible le danger invisible de la contamination radioactive. Il a voulu mettre en image l’altération de l’atome par la distorsion des paysages, en créant des perspectives brisées, des effets de transparences et une vibration dans la photographie. Dans les espaces marqués par l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima et dans le désert chinois du Lop Nor où 45 essais d’armes nucléaires ont été effectués de 1964 à 1996, il a documenté le rapport de l’homme à la nature en révélant le danger invisible de la radioactivité toujours présente dans ces paysages désolés et à l’apparente beauté préservée.
La photographie, est pour lui un jeu de construction, un lieu d’expérience qui s’affranchit du réalisme et du souci d’imiter les apparences. Il cherche à interroger la représentation du réel et de l’invisible dans la photographie de paysage en invoquant ce qui s’adresse à l’imagination et ce qui s’adresse à l’œil.
Ses derniers projets ont été récompensés par plusieurs prix (Award, Felix Schoeller Award, Art Photography Award ) et ont fait l’objet de plusieurs expositions (Bourse du Talent BnF, Paris Photo, Photo LA, Art Paris, Somerset House, Aipad). Son travail est représenté par la Galerie Sit Down (Paris).

Kamila K Stanley
Tenha Orgulho

Debs
Rappeuse & productrice
Rocinha, 2022
“Genre, je suis lesbienne, noire, et pauvre, tu vois ? Je viens d’un bidonville. Et donc, pour moi, tout a toujours été très difficile. Tu captes? Je déteste ces termes, ce truc cliché; tu sais, j’aurais voulu ne pas dire ça. Mais je voudrais aussi tout raconter; pour que les enfants comme moi n’aient plus à vivre ce que j’ai vécu.”
Debs à du se distancier de sa famille qui n’acceptent pas qu’elle soit lesbienne. Elle a été accueillie chez une amie, à Rocinha, le plus grand bidonville d’Amérique Latine.
© Kamila K Stanley. Lauréat de la Bourse du Talent 2023

« Aujourd’hui, le Brésil est le pays le plus dangereux sur terre pour une personne LGBTQIA+; la moitié des meurtres homophobes au monde y sont commis. En 2018, le pays que je connais commence à changer. Le spectre du fascisme resurgit en la personne de Jair Bolsonaro et son agenda d’extrême droite. En quelques mois les attaques homophobes accroissent de 30% dans le pays; chiffre qui grimpe de manière exponentielle tout au long de sa présidence.

J’ai alors commencé la série « Tenha Orgulho »; qui se traduit par “Sois Fier·e”. Parti d’un cercle intime, le projet grandit. Pendant quatre ans, j’ai voyagé à travers le Brésil pour réaliser des portaits de personnes LGBTQIA+.

Je voulais me distancier des stéréotypes sur la culture queer latine: les corps hypersexualisés, ou bien la précarité fétichisée de la prostitution et la toxicomanie. Chaque portrait entend renvoyer une image dont la personne représentée est fière. Je demande à chacun·e où et comment iel aimerait être représenté·e; ce qui m’a menée des favelas surplombant Rio jusqu’aux quartiers chics de São Paulo.

Les portraits sont entremelés d’apparitions de la riche faune brésilienne, proposant une lecture parallèle entre la violence exercée par l’homme sur les populations LGBTQIA+, et celle opérée sur le vivant (déforestation de l’Amazonie, destruction de la biodiversité); fruit d’une entière construction sociale d’oppression patriarcale. En complément, j’ai enregistré des témoignages audio avec chaque personne photographiée. Des extraits restranscrits à l’écrit sont inclus dans ce dossier. J’ai également filmé un court métrage en Super8, explorant le rapport au corps, au mouvement, et à la danse dans la culture queer.

Enfin, les faixas de rafia sont un élément emblématique de la culture graphique Brésilienne. Véritable étendard populaire, ces banderoles peintes à la main par des artisans sur toile plastifiée, sont commandées par des particuliers pour promouvoir tout message; allant des pubs jusqu’aux demandes en mariage. Accrochées en affichage sauvage partout dans le pays, ils ont également une typologie spécifique, peinte aux couleurs vives et primaires. Souhaitant détourner ces codes pour se réapproprier l’espace public, j’ai commandé des faixas avec de phrases choisies par mes amis queer photographiés pour le projet. Nous avons ensuite été les hisser dans des endroits symboliques où je les ai photographiées.

« Tehna Orgulho » cherche à rendre visible une communauté marginalisée dans une société ardente, où beaucoup reste à reconstruire. Mais c’est également un récit d’espoir; le témoignage d’une communauté aussi désarmée que désarmante. Dans un monde où l’intolérance gagne du terrain, nous avons beaucoup à en apprendre. C’est une résistance bouleversante et tendre: celle de l’amour aux temps de la haine. »

Dani
Première députée transsexuelle de l’histoire à de Rio de Janeiro, élue aux élections de 2022
“Cette année encore, il n’y a pas eu de défilé LGBTQI+ à Rio car nous étions trop menacés par le Bolsonarisme. Il faut qu’on existe à nouveau, qu’on répare. On peut être une graine, une fourmi. Changer mon monde, c’est changer celui des autres.”
© Kamila K Stanley. Lauréat de la Bourse du Talent 2023

Kamila est une photographe britannico-polonaise installée en France depuis l’enfance. Issue d’une famille immigrée et multilingue, elle développe très jeune une fascination pour le langage et l’échange. Diplômée en Études d’Amérique Latine, elle a exercé divers métiers dans de multiples pays. Elle apprend la photographie en parallèle, de manière autodidacte, au fil de ses voyages. Elle finira par quitter ses différents emplois pour se consacrer à la photographie à plein temps.Aujourd’hui, elle est photographe professionnelle depuis six ans. Elle est représentée par la Galerie Kominek à Berlin, et par deux agences; BIRTH à Paris et Making Pictures à Londres.

Kamila s’intéresse à développer une nouvelle écriture photographique qui s’écarte du photo journalisme traditionnel. Elle conçoit le reportage documentaire comme quelque chose de créatif et collaboratif, où ses sujets prennent une part active dans la conception de leur image.

En 2023, elle a reçu le Prix SAIF Femme Photographe. Son travail à fait l’objet de plusieurs expositions personnelles, prochainement à la Maison des Photographes à Paris, et précédemment au Musée de Louviers. Elle a également participé à des d’expositions collectives au MoMA PS1, à Paris Photo, et dans des festivals tels que LES FEMMES S’EXPOSENT et Les Rencontres Photo de Paris. Le travail de Kamila a été publié par The British Journal of Photography, Le Parisien, The Guardian, VICE, Dazed & Confused, i-D, The Huffington Post, Fisheye, et d’autres.

*Le jury était composé de William Massey, Directeur de La Fab. – fonds de dotation agnès b, Jérémie Danon, Artiste, Charlotte Flossaut, Directrice de Photo Doc, Héloise Conésa, Bibliothèque Nationale de France, conservatrice du patrimoine en charge de la collection de photographie contemporaine; Ludovic Drean, Directeur du service Pro Nikon France, Stéphane Benoit, Responsable pédagogique des départements Design graphique & photographie / vidéo, Gobelins et Vincent Marcilhacy, Directeur de Picto Foundation.

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