Anaïs Oudart est la lauréate du Prix Caritas Photo Sociale 2023

Le jury de la quatrième édition du Prix Caritas Photo Sociale, présidé par Claudine Doury vient de désigner Anaïs Oudart comme lauréate du Prix Caritas Photo Sociale pour sa série « Héroïnes 17 ». Ce travail a été réalisé dans le cadre de la grande commande « Radioscopie de la France, Regards sur un pays traversée par la crise sanitaire » et dresse le portrait de jeunes femmes entre 18 et 25 ans ayant connu une situation de rupture familiale. Grâce à ce prix, la photographe remporte une bourse de 4000€, l’édition d’un livre publié chez Filigranes et une exposition itinérante à Paris et en région.

© Anaïs Oudart, lauréate du Prix Caritas Photo Sociale 2023

Pour cette édition 2023, deux photographes ont été nommés finalistes, il s’agit de Sarah Leduc pour sa série « Elpis », un travail sur l’attente des personnes en demande d’asile dans un village des Corbières et Mat Jacob pour « Thierry et la violence du monde », une enquête sur les traces d’un SDF, qui permet de découvrir le monde de la rue. Leurs travaux seront exposés avec la série lauréate à Toulouse dès cet automne et cet hiver à Paris, à la Mairie du Xème arrondissement de Paris.

Héroïnes 17, série lauréate d’Anaïs Oudart

© Anaïs Oudart, lauréate du Prix Caritas Photo Sociale 2023

La crise sanitaire a accentué les difficultés au sein des familles. Dans les foyers les plus fragiles, les adolescents ont été perçus comme une charge entrainant une augmentation significative du nombre de cas de ruptures familiales. Aujourd’hui en France, l’âge moyen de la décohabitation avec les parents se situe à environ vingt-trois ans et l’accès à l’emploi stable à environ vingt-sept ans. Les mesures de protection de l’enfance, elles, s’arrêtent à dix-huit ans et un jour. De nombreux jeunes sans famille doivent se préparer à être autonomes à un âge où la grande majorité prolongent naturellement leur adolescence. Bien que le gouvernement ait admis cette injustice, de nombreux jeunes continuent de se retrouver en situation de précarité extrême. 40% des SDF de moins de 25 ans viennent de l’Aide Sociale à l’Enfance. Partant de ce constat, j’ai ciblé des jeunes femmes entre 18 et 25 ans ayant connu enfant ou adolescente une situation de rupture familiale.
J’ai décidé de témoigner de leurs difficultés à l’âge adulte à se construire seules, sans parents ni famille. Nombreuses ont connu ou connaissent une situation de précarité de logement, certaines ont un parcours d’errance, d’autres ont eu recours à la prostitution comme moyen pour s’en sortir. Toutes continuent d’avancer malgré le manque de soutien, de repères et de logement. Alors que pour certaines les difficultés perdurent, d’autres réussissent à se stabiliser et s’engagent naturellement vers la protection de l’enfance.
Cette série témoigne d’enfances chaotiques et précaires. Elle présente des portraits de femmes dans leur parcours de réinsertion, qui doivent se battre plus fort que les autres pour essayer d’arriver au même niveau. En 2022, par l’intermédiaire de 7 structures en lien avec l’hébergement d’urgence et l’Aide Sociale à l’Enfance, je suis allée à leur rencontre aux quatre coins de la France.
Ces structures m’ont aidée à identifier des jeunes filles qui souhaitaient témoigner de leur parcours. J’ai réalisé un portrait et une interview de chacune d’entre elles dans un procédé collaboratif. J’ai suivi leurs choix du lieu de prise de vue et la façon dont elles souhaitaient être représentées, tout en révélant leur force et leur résilience. Lors des interviews, je les ai laissées libres d’exprimer ce qu’elles avaient envie de partager avec moi et le reste du monde. Ce travail leur rend hommage. Le chiffre 17 fait référence à cet âge charnière où j’ai pu constater de nombreux cas de rupture.

https://oudartanais.com/

Elpis, série finaliste de Sarah Leduc

© Sarah Leduc

Dans la mythologie grecque, Elpis est la personnification de l’attente et de l’espoir. « Il n’y a plus d’existence humaine sans la double Elpis, attente ambigüe, crainte et espoir à la fois face à un avenir incertain » (J.P. Vernant) Ils viennent de Somalie, du Mali, de Côte d’Ivoire, d’Algérie, de Turquie, d’Iran ou d’Albanie. Ils ont fui la guerre, la dictature religieuse, le crime organisé ou des coutumes patriarcales qui soumettent femmes et petites filles aux pires vexations. Ils ont tout laissé derrière eux, leurs enfants parfois, pour trouver refuge en France où ils demandent l’asile.
En attendant que leur sort ne soit scellé par les services français de l’immigration, une cinquantaine de migrants sont hébergés dans le Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) de Lagrasse, en Occitanie. Le petit village des Corbières a une forte tradition d’accueil. En 1983, les Lagrassiens ouvraient leurs bras aux « boats people », ces réfugiés cambodgiens, laotiens et vietnamiens fuyant la dictature Khmer. Depuis, les migrants s’y succèdent le temps de la procédure.
En août 2022, treize familles vivaient dans le Cada, une bâtisse bourgeoise du XVIIIe siècle divisée en appartements au confort minimaliste. Ses habitants vivent dans l’ennui et la lenteur du quotidien. Ni chez eux, ni arrivés, ils sont dans l’impossibilité de se projeter, leur avenir étant suspendu à une décision administrative qui peut mettre des années à arriver. « On ne sait pas quand on arrive, on ne sait pas quand on repart », résume Ahmed, 15 ans.
Au coeur du village, le Cada est un petit bout d’ailleurs. Un territoire où le temps se dilate et l’espace se rétracte. Où les jours sont faits d’ennui et les nuits de nostalgie. Une tour de Babel où chacun tait son drame mais où tous partagent une attente ambigüe, teintée de crainte et d’espoir.

Thierry et la violence du monde, série finaliste de Mat Jacob

© Mat Jacob

Thierry est sans-domicile-fixe. Depuis 25 ans, il sillonne la France, sa maison sur le dos, après qu’il ait tout quitté, rompu tout lien avec sa famille, son travail et les institutions. J’ai croisé son chemin en pleine pandémie, triste temps où les gens de toutes les origines sociales s’éloignent et se protègent les uns des autres. Les relations se durcissent et bien plus pour ceux qui sont à la marge. L’isolement sonne encore plus fort. Les conditions de vie se fragilisent. J’ai hébergé Thierry quelques temps, un lien s’est tissé. Nous avions convenu que je prendrai la route à ses côtés, je témoignerai de ce qu’est la vie à la rue, dans ce monde-là, en ces temps-là. Il m’a donné son accord, puis peu après, il a disparu. Il a choisi un autre chemin. Je suis parti à sa recherche dans le Doubs et à Besançon, dernier endroit où il avait été aperçu. La recherche de Thierry s’est transformée en enquête. Une quête… dans le milieu des sans-abris, de ceux qui ont pour domicile les rues des villes. Je rencontre alors Stéphane, Madhi, Daniel, l’Indien, Ademaro, Angel, et beaucoup d’autres, ainsi que le personnel de l’abri de nuit et de l’accueil de jour. Ils témoignent. Je photographie l’absence de Thierry. J’écoute et j’enregistre les tranches de vie, je tente de comprendre la rupture, la chute, l’addiction, l’errance, la vie au jour le jour. Face à eux, je constate l’indifférence, le rejet et l’empathie, la gêne et l’impuissance. Je découvre aussi l’incroyable énergie des travailleurs sociaux, la patience et la tolérance. De cette immersion est né un récit qui ne dit pas tout car chacun porte en lui le secret de son existence, un secret bien gardé dont on peut deviner les racines, chercher les causes, tenter de comprendre mais guère plus. Mais il existe une autre réalité, celle de nos vies et de l’époque que nous traversons. Et eux, les fragiles, se retrouvent nus et sans voix face à la violence du monde d’aujourd’hui.

http://tendancefloue.net/matjacob/

INFORMATIONS PRATIQUES
Exposition des lauréats et des finalistes du Prix Caritas Photo Sociale 2023
Date : À partir de mi novembre 2023 à début janvier 2024
Galerie Le Château d’Eau
1 Place Laganne
31300 Toulouse
Date : De mi janvier à fin février 2024
Mairie du Xème arrondissement de Paris
72 Rue du Faubourg Saint-Martin
75010 Paris
https://www.reseaucaritasfrance.org/prix-caritas-photo-sociale

© All rights reserved. Powered by VLThemes.