Bourse du Talent 2021

Cette année, la Bourse du Talent, organisée par Photographie.com et Picto Foundation, a récompensé trois jeunes photographes. Les séries primées sont présentées dans le cadre d’une grande exposition collective intitulée « Photographie à tout prix ». Cette exposition visible jusqu’au 20 février à la BnF, site François Mitterrand, rassemble également les lauréats du Prix Niépce 2021, pour lequel Picto Foundation est partenaire, le Prix Nadar et le nouveau Prix du tirage photographique collection Florence et Damien Bachelot.

Les trois photographes lauréats de la Bourse du Talent 2021 portent chacun un univers dans lequel se révèlent le sens et les inaliénables «communs» d’une époque : le questionnement de notre humanité, la modification de notre lien à la nature et au règne animal, la mise en risque et en limites de nos identités, l’effacement d’une certitude du futur. Leurs images donnent sens à la photographie comme un art partagé et nécessaire, un savoir instantané du monde à travers lequel un engagement s’exprime et nous oblige. Sophie Artaud

Gabriel Dia

Le lauréat 2020 du Prix Picto de la Photographie de Mode, Gabriel Dia est l’heureux lauréat de la Bourse du Talent 2021 avec ses séries « Fragments » et « Sabar ».

Série Sabar © Gabriel Dia

Fragments
Ces Fragments sont une tentative de reconnexion avec mes sens. Dans la société sénégalaise musulmane où j’ai grandi, le corps est considéré comme un objet d’impureté qu’il faut toujours laver avant le rituel de la prière. Avec ce projet, j’espère faire taire peu à peu ces sons qui ont bercé mon enfance et mon adolescence avant mon exil en France à l’âge de 18 ans. Apprendre à aimer à nouveau mon corps et ses attributs.

Sabar
Cette série d’autoportraits rend hommage à une danse sénégalaise réservée aux femmes, le Sabar. Les hommes ont traditionnellement interdiction de la danser et ceux qui osent sont vivement critiqués par la communauté. Cela fut le cas de Gabriel Dia à l’âge de six ans. Le souvenir de sa mère en furie venant le chercher dans cette foule de femmes a longtemps hanté son enfance et son adolescence. Cette expérience de l’ordre du traumatisme a d’ailleurs certainement été décisive dans son choix radical de l’exil en France à l’âge de dix-huit ans, sous prétexte de faire des études. Vingt-six ans après, telle une réappropriation de son histoire, de son identité et de sa culture, Gabriel décide de danser à nouveau ce Sabar si longtemps interdit en se dissimulant derrière un film négatif opérant comme un voile protecteur. Une façon d’affirmer définitivement son homosexualité et remettre en cause la question de sa condamnation au sein de la société sénégalaise.

Aurélie Scouarnec

© Aurélie Scouarnec

Anamnêsis (2018-2020)
C’est une image manquante, en creux, tapie derrière la mémoire. Un tissu originel, terreau de sensations qui nous précédent et resurgissent, inlassablement. Les images contant la naissance du monde et des hommes se sont bâties à partir de mythes entrelacés les uns aux autres, de symboles collectifs, de légendes et d’histoires de tout ordre. Elles créent un fond de représentations sur lesquelles se greffent nos histoires personnelles, et réapparaissent dans nos rêves, dans notre littérature. Sous la diversité des formes reviennent la présence obstinée des éléments tels que l’eau, des jeux de forces antagonistes, un chaos ou un néant originel. Chez Empédocle par exemple, l’un des premiers penseurs grecs parmi ceux qu’on appellera les présocratiques et qui seront en partie à l’origine de la pensée occidentale, l’eau, la terre, le feu et l’air sont mis en tension par les forces d’attraction et de séparation, et la génération des corps suit ce même mouvement d’attirance et de répulsion. Cette série se retourne ainsi vers la nuit de l’origine, à la recherche de ce qui se meut en amont du langage et de la mémoire. Elle navigue parmi certaines traces laissées par les premières pensées, poétiques et philosophiques, de l’origine du monde et des hommes. Des corps y surgissent, se cherchent et se soulèvent. Dans la circulation des éléments primordiaux se tisse cette quête d’un lieu de reconnaissance d’une antériorité toujours plus reculée.

Feræ
Depuis le début de l’année 2020, je me rends régulièrement dans un centre de soin pour la faune sauvage. C’est un endroit à proximité du tourbillon de la ville. Il se déploie aussi dans un environnement moins urbain au moment de préparer au retour à la vie sauvage. Dans ce lieu, la volonté est de secourir toutes les espèces d’oiseaux et de mammifères sans distinction. Ici, les gestes se répètent et deviennent rituels, au fil des heures qui bien souvent s’oublient. Vétérinaire, soigneurs, bénévoles, étudiants s’y succèdent. Leurs visages veillent. Leurs mains nourrissent, rééduquent, pansent et nettoient. Au contact des corps blessés s’ouvre l’espace d’un face-à-face avec l’altérité animale où les distances se recomposent. Dans la proximité de cette rencontre avec l’animal sauvage, les mouvements cherchent assurance et justesse selon les espèces. On y apprend à être attentif aux minces signes d’effroi de l’animal, à surveiller les abris, les linges tamisant la lumière, le silence. Ce temps de soin qui voit se bousculer les frontières relationnelles avec l’animal non domestique se doit d’être le plus bref possible, afin de lui éviter un stress mortel, ou au contraire de trop l’imprégner de la présence humaine. A l’heure où les espèces sauvages et leurs habitats continuent à se réduire sans cesse, des sensibilités tentent ainsi de se faire entendre et d’agir pour la faune sauvage. Comme une tentative de réparer nos liens avec le vivant. Avec plus de six mille accueils d’animaux par an, l’association Faune Alfort associée au Centre Hospitalier Vétérinaire pour la Faune Sauvage CHUV-FS est devenue le premier centre de soin en France pour les espèces sauvages. Elle fait partie du Réseau national des Centres de Soin pour la Faune Sauvage. Alors que le nombre d’accueil d’animaux en détresse continue d’augmenter chaque année, l’équilibre de ces centres survivant grâce aux dons reste extrêmement précaire.

Yann Datessen

© Yann Datessen

AR
Mille vies, mille morts, des solitudes insensées, une errance éternelle, Arthur Rimbaud, on le sait, est cet adolescent en feu qui a d’abord mis la littérature française à genou. Et puis il y a son silence, son silence soudain qui a achevé ce qui restait de la littérature qui était à genou. Surtout il y a sa vie, sa vie d’après, une vie étrange, tragique, une vie qu’il a prédit mot pour mot dans ses cahiers d’enfant. Mille voyances, mille voyages, une histoire de genou, le sien qui finit par l’empoisonner à seulement 37 ans, Rimbaud laisse à la postérité une photo, une correspondance sèche et quelques textes sublimes. Aujourd’hui à Charleville-Mézières, alors que chaque coin de rue porte son nom, les moins de 17 ans ne savent pas vraiment qui il est, tout juste si sa belle gueule leurs inspire une moue, la moue fameuse qu’il avait, le temps paraît-il détruit tout, même Rimbaud. Entre 2016 et 2020, j’ai écumé les établissements publics des Ardennes pour portraiturer des adolescents de tout horizon : collèges des villes, lycées agricoles, casernes, pôle emploi, peu importe, en cherchant à faire comme l’inventaire des gamins d’une région qu’on dit sinistrée, je me suis servi de ces rencontres pour célébrer ensuite, au-delà des frontières, une constante : la moue fameuse des insatisfaits, qu’ils soient ardennais ou expatriés français, la moue de ceux qui sont loin d’eux-mêmes, loin d’un rivage qu’il est décidément de bon ton de fuir.

INFORMATIONS PRATIQUES
Exposition des lauréats de la Bourse du Talent 2021
Dans le cadre de l’exposition La Photographie à tout prix
Date : Du 23 novembre 2021 au 20 février 2022
Lieu : BnF – Bibliothèque nationale de France
Quai François Mauriac
75013 Paris
https://www.bnf.fr/

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